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Pascal Poot, la mémoire des plantes

Portrait du journal "La Croix"

Pascal Poot, fondateur du Conservatoire de la tomate, croit aux capacités d’adaptation et de résistance des plantes, et à leur faculté de transmettre ces capacités à leur descendance. Dans l’Hérault, il cultive, sans eau ni traitement, un jardin luxuriant de tomates anciennes.

Debout, face à une petite parcelle foisonnante, parsemée de feuillage et de centaines de tomates, Pascal gratte, d’un coup de chaussure, les cailloux dans le sol. « Ici, nous avons semé en juin. Et nous n’avons jamais arrosé », annonce-t il. La terre est sèche et rocailleuse, les tomates sont rouges et bien dodues. Sur les hauteurs de Lodève, dans le petit village d’Olmet-et-Villecun dans l’Hérault, la pluie est rare. Pourtant, en poussant le portail en bois du Conservatoire de la tomate, un vaste jardin bucolique semé de légumes charnus fait rêver les jardiniers, intrigue les scientifiques et attire les curieux du monde. Bonnet de laine sur la tête, cheveux longs et barbichette, le maître des lieux, Pascal Poot, 57 ans, préférerait être tranquille. « Je ne suis bien que dans mon jardin, seul, mais bon… C’est important de transmettre », glisse-t il dans un généreux et chaleureux sourire.

Des plantes triomphantes face à la sécheresse
 

Il y a trente ans, ce jardin luxuriant n’était qu’une terre désertique. « Ce terrain ? Personne n’en voulait ! Ici, la terre atteint péniblement 35 centimètres de profondeur aux meilleurs endroits. Il n’y a pas le moindre filet d’eau. Le sol est composé majoritairement de roches et de cailloux. » Agriculteur dans le sang, jardinier dès ses premiers pas, Pascal Poot, qui a pu acquérir ce lopin à 27 ans avec ses petits moyens, a fait confiance à son intuition et à son expérience, acquise très tôt : âgé de 4 ans, alors qu’il n’avait pas encore franchi la porte de l’école, il savait déjà jardiner et récoltait ses propres semences. « J’ai appris seul », résume-t-il.
Une question le guide : « Les mauvaises herbes, dont on n’arrive jamais à se débarrasser, sont en fait les légumes du Moyen Âge. Je me suis demandé comment ces plantes, qui poussent toutes seules, ont pu devenir aussi résistantes. Pourquoi les légumes d’aujourd’hui ne pourraient-ils pas développer la même résistance ? » Sur son sol ingrat, il s’accroche à son hypothèse. Il nourrit la terre de compost, plante ses légumes, puis il ne s’en préoccupe plus. « J’ai un principe : je ne me mêle pas de la vie privée des plantes. Elles se débrouillent », lâche-t il. Alors que la majorité des agriculteurs arrosent leurs plantes quand elles ont soif, donnent des traitements lorsqu’elles sont malades, Pascal les laisse livrées à leur sort. « Elles doivent apprendre », explique-t il, tel un père de famille.

 « La mémoire génétique existe »

« Tout ce qu’une plante apprend au cours de sa vie, elle le transmet à ses graines, démontre-t il. Il y a vingt ans, les généticiens ne me croyaient pas alors que je le constatais sur mes terres. Aujourd’hui, c’est désormais prouvé scientifiquement. La mémoire génétique existe. » Face au mildiou, les plantes se parent. Face au gel, elles se protègent. De génération en génération, les semences accumulent et développent des capacités d’adaptation et de résistance. Et jour après jour, l’hypothèse de Pascal se vérifie, tordant le cou aux principes économiques des multinationales. « Il est inutile de créer des variétés hybrides pour qu’elles aient des gènes de résistance. Les plantes savent résister seules. Il suffit qu’elles apprennent », constate l’agriculteur comme une lapalissade.
Depuis 2014, la femme de Pascal, Rachel, s’est lancée dans la construction d’un site Internet et dans la commercialisation des fameuses graines par correspondance. Seule issue possible pour rendre la ferme viable. « Cet argent nous permet d’avoir du matériel, d’acquérir des terrains et d’embaucher, précise Rachel, pragmatique. Nous avons aussi des bénévoles qui viennent nous aider. » Si la démarche de Pascal n’avait d’autre ambition que de nourrir sa famille, il reconnaît être « conscient que ¬¬¬ (ses) semences sont nécessaires et le seront de plus en plus au regard de l’avenir de la Terre, de la raréfaction de l’eau et du phosphore ».
En 2019, la demande dépasse largement la capacité de la petite ferme. Des clients du bout du monde font à leur tour leurs expériences et les scientifiques déambulent régulièrement dans les jardins. Pascal sourit d’avoir gagné son pari, qu’il transmet au quotidien à ses quatre filles. L’aînée, 12 ans, sait reconnaître les variétés de tomates d’un coup d’œil et elle cultive son propre jardin « plus fertile que celui de son père », dévoile-t-il fièrement. Chez les Poot, toutes les graines sont fructueuses…